MICHIELS

L’étang et les nuages du temps !

Partie Occidentale de l’ouvrage Divine mélancolie : Prologue.

Divine mélancolie n’aurait jamais dû exister. Au début, il s’agissait d’un texte de présentation pour la Villa de Kujoyama à Kyoto.
Une mise en perspective des jardins japonais. Et puis non !

Peu à peu, mon esprit revenait à l’évidence : Ulysse n’était pas prêt à faire un demi-voyage ; à négocier ses contraintes pour d’autres limites extérieures, fussent-elles un plaisir pour les yeux de l’ême (âme et être); À se sentir prisonnier par d’autres limites intérieures ;
– Autant de liberté à vivre aux encres des livres –, ivre des eaux du dedans !
À vivre la nécessité des contraires comme une ancre des grands fonds et qui ne pourrait se détacher du sol que par la seule force d’un tsunami ;
– Autant de rêveries à écrire aux pixels des images –, ivre des courants de « dudans » !

Le voyage n’aurait-il pas commencé ?

Le moment le plus étrange est sans doute l’instant où l’on a compris que l’histoire est close, que ces fragments éparpillés telles des feuilles tombées des arbres sont à garder à la façon d’un herbier. Non pas comme un collectionneur qui voudrait sauvegarder les « racines du monde »,
mais plutôt de rassembler une certaine mémoire, des petits éclats de verre de couleur aux formes diverses et renvoyant les lumières du ciel par mille fragments alors que nous les regardons vers le bas ! Comme attirés par une pesanteur trop forte de nos doutes, de nos gourmandises, de nos faiblesses, de notre attachement à la terre et qui nous prendra un jour, sans que nous le voulions, dans son lit boueux ; les rivières de nos larmes, celles que nous n’avons pas pu verser face à la violence du monde !

Sans doute est-ce là le principal secret des Nymphéas de Claude Monet accrochées au musée de l’Orangerie : observer les nuages de la terre et du ciel par le prisme des reflets colorés sur les eaux d’un étang créé par la main de l’homme.

Dieu n’est plus depuis longtemps !

Nous en avons pris l’image mais pas le don. Nous en avons pris ombrage mais pas le pardon !
Nous en avons gardé la souffrance, et non l’amour, nous en avons gardé la mort et non la vie.
Nous préférons la guerre comme survie, la soumission à l’égalité.
Arriverons-nous à dépasser le siècle des Fleurs du mal pour celui de l’origine, à savoir la nature nue des choses, non les choses du savoir et qui nous rendent dénués de nature, qui nous contraignent dénature des nuées !

Nous nous sommes perdus !

La connaissance et la fidélité ne peuvent se regarder en face sous peine d’être mordues par le serpent de la cupidité. Il faut alors passer par toutes les formes, de la lumière et des métamorphoses pour trouver la paix, pour perdre la vue, pour retrouver le lien aux différentes natures des hommes et qui nous unit à l’équilibre du monde, à son mouvement même, la liberté !

Pour retrouver les traces, telles des ombres blanches laissées sur le sol une fois durcies !
– Rien n’est plus visible, qui se transforme –, que refusons-nous alors comme vérité ?
Tout… À peu près tout…

Pour retrouver les images, tels des contours noirs laissés sur le sol une fois choisies, une fois moisies !
– Tout est visible et immuable –, que gardons-nous comme sensations, comme plaisir ?
Rien… À peu près rien…

Peut-être l’idée d’un voyage, d’une tunique qui flotte aux quatre vents.
Et qui me fait entrevoir la beauté de ton visage.
Un dialogue muet à ta rencontre où la tendresse de ton regard me rappelle que je t’ai déjà aimée !

Que j’ai cent fois oublié.
Que j’ai mille fois recherché !

Le voyage n’a de sens que dans l’illusion de retrouver ce que l’on a perdu! De perdre pour gagner le silence ! Jusqu’à accoster un lieu magique, un paysage qui nous permettra de nous reposer un peu, pour retrouver de la chaleur humaine, avant que les êtres chers disparaissent de notre mémoire. Il faudra bien alors de nouveau s’aventurer dans ces espaces inconnus, particules élémentaires de toutes créations, de toute nécessité, pour mieux renaître !

Mais ce que nous ne savons pas, c’est que le monde et les âmes auront changé de visage telle une nature luxuriante et imprévisible. Nous prendrons alors une direction diffractée, tels des cristaux de neige s’agrégeant gravitationnellement à d’autres voies « d’aux »… des eaux vives à d’eau de vies, d’eau-de-vie au saké. Nous sommes tel un grain de riz dans la nature, un grain de sable qui ne reprend vie que sous l’éventail des métamorphoses, sous la main mécanique du balancier, sous les doigts sinueux du plaisir, comme une voie lactée des possibles, une carte mentale d’une singularité complexe ?

Nous vivons dans le clair-obscur de la conscience, sans jamais nous trouver en accord avec ce que nous sommes, ou supposons être. Les meilleurs d’entre nous abritent la vanité de quelque chose qui se déroule pendant l’entracte d’un spectacle ; il arrive parfois, par certaines portes, d’apercevoir ce qui n’est pas le décor.
Le monde entier est confus, comme des voix perdues dans la nuit…

Écrire, c’est oublier…

Éternels passagers de nous-mêmes, il n’est pas d’autre paysage que ce que nous sommes.
Nous ne possédons rien, car nous ne sommes rien.
Quelles mains pourrais-je tendre, et vers quel univers ?
Car l’univers n’est pas à moi ? : c’est moi qui suis l’univers…
 
Fernando António Nogueira Pessoa.

Texte : Michiels Marc.