MICHIELS

L’objectif retourné

À rebours d’une photographie qui tente de nous faire croire en une objectivité de notre regard sur le monde, Marc Michiels intériorise ce qui se trouve devant son objectif. Au lieu de se tourner vers un objet à examiner, il rapporte à soi, récupère, intègre jusqu’à éprouver l’extériorité d’objets qui posent de moins en moins. Au lieu de rendre compte de ce qui attend d’être fidèlement photographié, il malmène, déforme, masque petit à petit les motifs initiaux pour ne laisser apparaître que des impressions lumineuses et colorées. À la fixité des objets est préférée la mouvance de ce qui les éclaire.

Dans un premier travail, des silhouettes de femmes que l’on pourrait croire tirées de magazines de mode sont comme découpées et collées sur des fonds monochromes noirs et bleus. Ces découpages sont accompagnés de dessins en pointillé qui les soulignent, les prolongent, les mettent en perspective, les cadrent, les mesurent, les décorent. A cela viennent s’ajouter des effets lumineux qui les picturalisent, les colorent, leur donnent une matière. Ces trois surimpressions plastique, graphique et picturale n’appartiennent pas à l’image photographique, elles la composent bien plutôt, la prennent pour support. Indépendantes l’une de l’autre, elles se superposent sans réellement se rencontrer, se confondre comme si elles existaient au-dessus de l’image elle-même, comme si leur auteur les tirait vers lui.

Dans un deuxième travail que l’on peut qualifier d’abstrait, Marc Michiels élimine l’élément graphique – les dessins en pointillé – pour ne  retenir que des découpages qu’il géométrise et des jeux de lumière qu’il complexifie : sur un fond monochrome en papier accroché au mur sont découpées et collées des formes géométriques colorées – des ronds, des rectangles…-, vertiges des silhouettes féminines maintenant oubliées ; entre le fond et l’objectif  de l’appareil photographique sont maintenus des rouleaux de gélatine colorés. Deux déplacements sont opérés : les silhouettes féminines photographiées se réduisent à des formes en papier qui sont effectivement collées sur un fond ; les gélatines posées jusqu’alors devant des projecteurs – comme elles ont l’habitude de l’être dans les salles de théâtre – sont, quant à elle, placées devant l’objectif. Nous passons de photographies qui imitent les formes plastiques à des images plastiques qui ressemblent plus à des photographies. Deux formes plastiques sont conjuguées successivement : le collage puis le maniement sculptural de rouleaux de gélatine qui, en prolongeant la forme cylindrique de l’objectif, masquent la distance qui sépare l’appareil du fond sur lequel sont collés les découpages. Ainsi, au lieu de percevoir un collage fixé au mur devant nous, nous le voyons intégré au maniement d’une matière gélatineuse à travers laquelle il transparaît. La fusion des surimpressions est réalisée.

Située à la rencontre de la vision du collage et du modelage des gélatines, de la distance et du contact, du retrait et de l’exposition lumineuse, l’image nous enferme désormais dans la vision de son auteur, dans une dynamique du coup d’oeil, dans une constitution du monde plus que dans sa donation. Marc Michiels interroge son regard, ce qui lui est donné de pouvoir voir, laisse de côté le souci que le photographe a de révéler le plus adéquatement possible l’objet qu’il fixe. 

La question : « Que puis-je voir ? » s’est substituée à la question : « Comment voir ? ».
L’objectif est comme retourné : nous voyons des impressions, des états mentaux, l’intimité d’un esprit.

Texte : Alexandre Wong – Abstractions mélancoliques éditions Tanguy Garric (2001).


The Inverted Objectif : against the grain of that kind of photography that would make us believe in the objectivity of our perception of the world, Marc Michiels interiorizes all that finds itself before his lens. Rather than direct his attention to an object to examine, he gathers up and integrates unto himself the exteriority of objects, which in the process seem to “pose” less and less. Instead of considering what awaits a traditionally faithful photographic recording, he manipulates, deforms, and gradually masks any initial motifs so as to reveal only luminous and colorful impressions. Over the fixed stability of objects, he gives preeminence to what illumines them. Initially, female silhouettes that look like they could have been pulled from fashion magazines appear to be cut out and pasted to monochrome blue and black backgrounds. These cutouts are accompanied by dotted or stippled drawings that highlight prolong, frame, measure, and decorate them; the drawings also put them in new perspectives.  Added to that are luminous effects that not only color these images but lend them materiality and a pictorial format. These superimposed plastic, graphic, and pictorial impressions don’t belong to the photographic image itself. Instead they take that image as their support and give it composition. These added impressions are independently superimposed against each other without really seeming to encounter one another. They intermingle as if they existed above the image itself, as if their creator was drawing them toward himself. 

In a second kind of approach, which can be qualified as abstract, Marc Michiels eliminates the graphic element – the stippled drawings – and retains only the cutouts (which he treats geometrically) and also the interplay of intricate lighting. Hung upon the wall is a monochrome paper background, and attached to this are cut-out, colored, geometric forms: circles, rectangles, intoxicating since-forgotten female silhouettes. Between this background and the camera lens, the artist holds out colored gelatin sheets. Two kinds of displacement are at work: the photographed female silhouettes reduce themselves to paper forms attached to a background; and the gelatins, of the sort more commonly placed before projectors or theater lights to cast a colored atmosphere, are placed before the lens. We go beyond photographs that only imitate plastic forms, to plastic images that no longer resemble photographs at all. Two forms are successively conjoined: the collage, and then the sculptural handling of gelatin roles which, in elongating the cylindrical shape of the lens, mask the distance separating the camera from the background upon which the cut-outs are attached. Thus, instead of perceiving a collage stuck onto a wall in front of us, we see it integrated into the artist’s maneuvering of the gelatin material through which the collage appears to us. The fusion of super-impressions is realized.

Situated at the encounter between the collage vision and the modeling of the gelatins, between distance and contact, between recession and luminous exposition, the image henceforth pulls us into its creator’s vision, into the dynamics of the assured eye, into a constituted world more than into a given world. Marc Michiels interrogates his own vision and what is given to him to see; he leaves aside the photographer’s concern with revealing as accurately as possible the object he focuses upon. In place of the question “How do I see?” Michiels substitutes a deeper one: “What am I able to see?” It’s as though the lens were inverted: we see impressions, mental states, and the intimacy of a soul.                     

Translated by Dough Hanson.