Je suis Celui-là

©Marc Michiels

« Je suis celui-là » sous-entend que je ne suis pas seulement celui-ci. Marc Michiels s’est penché sur la dualité, sans imaginer que c’est à la sienne qu’il allait se heurter. Ces images, prises dans les derniers instants d’une retraite des plus particulières, proviennent d’un monastère franciscain, devenu résidence éphémère pour écrivains.

Marc n’avait pas exclu l’éventualité d’y prendre quelques clichés, ignorant  l’effet qu’aurait la réclusion sur l’univers très singulier de son écriture. Dans cette enceinte de pierres, de multiples cellules individuelles d’où ne sont accessibles que ce que l’on est délibérément venu y chercher : silence et solitude. Marc évoque à plusieurs reprises l’empreinte laissée par ces moments d’isolement et le souvenir de l’eau, vivante, omniprésente : celle des fontaines, des sources, d’une pluie presque continue…

Et puis ce froid. 
Dans et hors des murs.
Sortir.

Au bout d’un chemin, 13 poissons rouges dans un abreuvoir de pierres grises. Marc prend seulement 2 clichés puis, de retour dans sa cellule, va les tourner, les inverser, en changer encore le sens puis les associer à leur simple reflet. Une fois le miroir posé, l’atmosphère initiale semble métamorphosée et le double devient une angoissante entité.

Une suite s’impose alors d’elle-même, nécessitant un retour sur les lieux pour figer d’autres instants, créer de nouvelles images-miroir qui transforment l’existant. Marc pose un axe, une symétrie sur du mouvant : rien n’est retouché, seule la matière brute est  dupliquée. Cette série est une des seules à avoir été réalisée de manière aussi intuitive. Marc se sent tour à tour créateur et témoin de ce qu’il façonne, le chemin qu’il suit lui semble familier et tend vers une harmonie esthétique qu’il sait avoir déjà trouvé.

Cet abreuvoir, qu’il qualifie de « curieuse porte, ouverte sur un autre monde », l’amène à se considérer lui-même différemment, et pour la première fois. Une partie de lui observe l’autre, ce reflet imposé semble ne plus vouloir le quitter. Le double devient une masse oppressante et silencieuse, dont il peine à se délester. Cette série va profondément le troubler, raison pour laquelle elle ne sera jamais exposée.

Il y a des fenêtres qui s’ouvrent sur le possible, il faut aller dans ces espaces là mais surtout en revenir !
Maintenant  c’est le cas, mais j’ai habité ça très longtemps, c’est pour cela que je n’avais pas envie de montrer, d’expliquer… 
Marc Michiels.

La métamorphose est une thématique récurrente dans les œuvres de Marc Michiels, qu’il s’agisse de  photographie ou de poésie. 
L’exploration du phénomène se poursuit désormais à travers la réalisation de sculptures : Peut-être, pour Marc, une façon d’exorciser les derniers lambeaux de ce double en leur donnant une structure…

Je marche à côté de la rive désertée ;
Il nage autour de moi comme un air impalpable ;
Le soleil au zénith remplit l’espace de sa lumière blanche
Nul désir et pensées « coupable »

L’autre, est là qui me regarde,
Sous la forme séduisante d’une femme,
Vampire, assoiffé des rêves nocturnes,
Il neige tout à coup.

L’eau m’englobe, je suis bien,
Plus de pesanteur, au milieu
Des regrets, de l’ennui et des faiblesses,

Vous êtes toutes ses images de destructions
Le bien, le mal nous et vous,
Je suis prêt à la nécessité de l’oubli !
 
 
D’après Les fleurs du mal – Fleurs du Mal : La Destruction – Charles Baudelaire 1861 par Marc Michiels.

Texte : Perrine Denis-Monfrais.