Interview : L’entreprise responsable par Marc Michiels, 2024.

Interview de Marc Michiels
pour le site Responsible Growth.fr, parce que l’avenir n’est pas négociable…

Responsible Growth : Prises en tenaille entre une multitude de contraintes économiques, technologiques, réglementaires, et leurs aspirations pour une gouvernance responsable, les entreprises se cherchent. Retrouveront-elles les vents d’Éole, si précieux à Ulysse ? 

Pour la population, les marques semblent avoir pris le relais d’un nouveau roman collectif, créatif et innovant, et pourtant… A l’image d’une certaine inadéquation aux changements de ce grand voilier blanc qu’est une entreprise victime d’un bug économique, tel que Kodak et BlackBerry en leur temps, aujourd’hui Atos, une entreprise de services du numérique française, créée en 1997… toutes, des colosses aux pieds d’argiles. Ces mêmes vents favorables peuvent, en un instant devenir un vent contraire et modifier le plan de route qu’elle s’est elle-même fixée ! Est-ce dans la logique de la vie, d’une façon générale, comme un cycle naturel de l’existence d’une marque, d’un être humain ? Ou est-ce un problème cumulatif d’irresponsabilités, à l’inaptitude d’une gouvernance de l’ensemble des acteurs ? À l’épreuve d’un engagement romanesque, inscrit dans l’ADN de nos vies et dans l’histoire de chaque entreprise, la question de l’interopérabilité de nos existences, construite sur des notions d’utilité, de durabilité, de désirabilité et de responsabilité, devrait être en premier lieu, un espace de « civilité constructive » et non une simple influence relative, superficielle et manipulatrice sans lendemain… 

Aujourd’hui, la RSE doit être avant tout un principe de réalité, éthique et vérifiable, que l’on peut analyser et questionner à sa guise. Les citoyens, les internautes, les consommateurs se montrent de plus en plus vigilants et interrogateurs face aux discours des marques. Pour autant, la responsabilité ne serait-elle pas rentrée dans nos mœurs, nos process, dans nos entreprises plus facilement que l’on ne le croyait ?
La responsabilité n’est-elle pas devenue un peu comme un papier cadeau, ce qui fait l’emballage d’un produit que l’on souhaite vendre ou donner ? Le papier d’emballage n’aurait-il pas, lui aussi, son importance dans le message de donner, si précieux en relation ? Rien ne sert d’être responsable si personne ne réutilise ce papier, – ce tissu appelé Furoshiki en japonais -, pour en faire autre chose : le détourner, l’utiliser, en respectant simplement la règle des 5R (Refuser, Réduire, Réutiliser, Recycler et Rendre à la terre) …

Une société responsable devrait être une société qui transforme tout, qui valorise le moindre déchet non pas comme une matière première mais bien comme une valeur première, essentielle et vivante !

L’éthique, l’utilité et l’usage n’ont-ils pas autant d’importance dans notre vie quotidienne que de se sentir responsable partout et tout le temps ? C’est sans compter sur ce qui anime notre « tension » vertueuse au monde, c’est-à-dire être acteur de l’histoire qui se déroule sous nos yeux, car les plus belles histoires sont celles qui s’écrivent à plusieurs mains, entre entrepreneurs visionnaires, créatifs, qu’ils soient humains ou artificiels, et consommateurs citoyens… Être responsable s’inscrit donc dans le temps long et c’est sans doute cela dont nous n’arrivons pas à appréhender la responsabilité de façon pérenne dans nos sociétés du temps présent, du tout jetable, de l’obsolescence programmée… 

D’ailleurs, à y regarder de plus près, chacun de nous est devenu interchangeable, non unique et « in-singulier » … Faut-il y voir alors une faiblesse naturelle des humains, la limite d’actions devant une réalité devenue plus contraignante, une mauvaise perception de ce qui nous environne face à un espace multidirectionnel en mouvement, fait de niches, dans ces dimensions de l’immatériel et du digital ? 

Dans un monde de défiances, dans une société panoptique, où s’amplifient les vulnérabilités de nos économies, la notion d’échange et de confiance, reste le point d’équilibre de nos organisations. Les actions qui n’ont pas été prises à temps, mal comprises par le consommateur ou la marque, conduisent irrémédiablement à une perte de pouvoir et d’image qui progressivement se dégrade… Et en vérité, ces Comedia dell’arte nous renseignent plus sur notre inorganisation au vivant, notre désir de plaire au plus grand nombre, plutôt que de s’organiser sous l’égide d’une gouvernance mondiale actionnable et loyale entre les communautés d’intérêts bien compris. Il n’en demeure pas moins que les médias sociaux sont un vecteur impactant du point de vue de la communication, mais tout aussi anxiogène, délétère, vivifiant, transgressif et territoires de toutes les spéculations… Il est sans doute venu le temps de jouer une autre partition tout aussi théâtrale, moins « micro-plasmique » mais plus équitable ! A moins que, toujours pris en tenaille par nos injonctions de transformations, celle-ci laissent la place à nos contradictions, c’est-à-dire à une sélection naturelle si cher à Charles Darwin ?

Sans contrat social, point de responsabilité, pas de droit, ni de devoir, point d’humanisme !

Au lieu de cela, nos sociétés cherchent de nouvelles solutions, un nouveau Graal dans l’intelligence des Temps Artificiel Modernes (ITAM) pour préserver, sans doute, les intérêts d’un plus petit nombre, afin de contrôler, toujours plus « d’adeptes » sous le prisme de l’actionnabilité du plaisir immédiat et immatériel. Ou pour protéger l’homme de ses faiblesses existentielles ? Est-ce pourtant un nouveau modèle vertueux qui nous aient présenté ? On peut d’ores et déjà se poser la question si chacun de nous ne consent pas à s’interroger sur la re-politisation nécessaire de la société contemporaine… Et faire en sorte que les entreprises prennent leur place dans la démocratie et acceptent de faire passer l’intérêt du bien commun avant chaque intérêt particulier. Mais alors, faut-il faire confiance à l’inattendu et à l’impermanence de la vie ? Ou faut-il au contraire accompagner un modèle vertueux d’entreprise raisonnable et de consommation raisonnée pour bâtir ensemble l’ambition d’un avenir plus respectueux des Hommes et de la Planète ? 

Les deux sans doute, ne soyons pas trop dogmatique et restons ouvert sur le monde infini des possibles… Oui, ce monde est possible, c’est du reste notre responsabilité collective et individuelle ! 

Choisir entre la beauté et la noirceur est un choix simple en vérité, un choix d’équilibre et de passions, aux multiples conséquences positives… En somme, nous ne le savions pas, mais l’esprit de responsabilité est aussi un esprit d’égalité démocratique par essence. 

Nous ne devrions plus être des passeurs mais bien des acteurs de ce changement… 

L’action est au-dessus de l’accompagnement, les valeurs des lumières priment sur celle des ténèbres. Il en va de notre responsabilité et de notre survie en tant que modèle d’organisation, en tant que singularité humaine, placée toujours au-dessus de l’intelligence artificielle ! 

Responsible Growth : Il y a encore quelques années, le digital semblait fixer le cap mais, aujourd’hui, comment résoudre le problème délicat de la prospective ?

Le digital a créé, sans que nous en ayons conscience, un nouveau monde, avec ses nouvelles histoires, ses mythes et ses légendes, ses conquêtes, ses naufrages, ses données à exploiter comme un gisement sans fin sur de nouveaux territoires, mais aussi ses déchets et une nouvelle pollution que ses activités d’expansion naturelle et de colonisation de son milieu génèrent… Il ne sait pas encore faire sans, ou, pour le moins, il ne sait pas encore faire moins et mieux tout en s’interrogeant sur les conséquences de chaque action. Dans un monde où les gens ne manquent de rien, à quoi sert d’avoir toujours plus ?

L’homme préfère encore le bruit au silence !

Il n’aura bientôt plus le choix, s’il veut garder sa singularité en signe de partage…

Preuve d’une égalité désirée et non soumise à l’arbitraire !

Et à son échelle, après avoir crucifié Dieu sur l’autel de « l’autorité », il semble que 2000 mille ans d’histoire plus tard suffisent pour qu’il passe la main à une « entité » qui pourrait résoudre le problème délicat de sa prospective et de son avenir… Le mythe du miroir magique et de Narcisse, fils de la nymphe Liriope et du dieu fleuve Céphise, tombé amoureux de lui-même en voyant son reflet dans un bassin, est depuis l’arrivée des médias sociaux une problématique organisationnelle de plus et massive dans la gestion mémorielle de ses idées et émotionnelle de son cerveau. A moins que cette sérendipité digitale l’entraine, non pas dans un désir d’oracle compulsif, mais vers un désir d’amour multivitaminé et Meta-botoxé … puis, peut-être à force de se perdre dans les méandres du ver, vers un lâcher prise permanent ! Et c’est là sans doute que l’IA va rentrer dans l’équation positive de la prospective : gérer les ressources pour ce qu’elles sont, à savoir organiser une société durable avec un nombre de ressources données et limitées, parfois croissantes, parfois décroissantes. L’Intelligence Artificielle Générative est dans toute les têtes et est au cœur de cette transformation du renouveau. Mais jusqu’à quand fera-t-elle partie intégrale de notre cerveau, de notre manière de penser le monde, non plus comme une base de connaissance documentaire, mais bien comme une réponse personnifiée d’informations restructurées sous la forme d’un Yi-king (1) moderne, pour le meilleur comme pour le pire ? Il semble que la prospective n’ait jamais autant fait parler d’elle dans l’équation de nos mondes disruptifs et dans ces différentes projections. Ce qui est certain, c’est que ces solutions se révèlent être un formidable outil d’aide à la décision et à la création. Outil & création pour l’IA et prompt & décision pour l’homme, c’est déjà suffisant & intelligible comme notion pour avancer, non ? A chacun de trouver son équilibre et à en proposer un avenir qui reste encore à écrire où à regarder dans les yeux, de son l’utilisateur, la joie de découvrir un monde flottant d’étoiles filantes et colorées…

Étrangement, la notion d’IA sous le prisme de la prospective est liée au consentement, valeur fondamentale en ce début du 21e siècle, à la perception de ses nouveaux usages, à des notions de limites bien plus complexes et invisibles qu’ils n’y paraissent. Mais c’est aussi à un autre mythe dévastateur qui fait son grand retour, celui de Prométhée, créateur d’humanités, de sacrifices et de châtiments… La prospective est donc une idée incandescente qui brûle les ailes de géant de celui-là même qui l’empêche de marcher : « Le Prospectiviste est semblable au prince des nuéesQui hante la tempête et se rit de l’archer ;Exilé sur le sol au milieu des huées, … » (2).

Responsible Growth : Dans ce contexte, quelle place pour une entreprise réellement responsable ?

L’entreprise réellement responsable a évidemment toute sa place, comme un éclaireur, une vigie, un marqueur, lieu d’écoute, de propositions, de co-créations et d’innovations par excellence, dans ce balancier des confluences et des dictats d’injonctions contradictoires. Mais plus que jamais le consommateur que nous sommes, tous et toutes, doit changer de posture pour se mélanger dans différentes raisons d’être et y trouver l’équilibre parfait et sans contrainte avec le monde des entreprises. Être lui aussi un acteur de cette prospective responsable, respectueux des processus d’évolutions et accompagnateurs de projets… jouer de son autorité pour ne pas devenir non plus un simple payant qui n’a que des droits sans parole mais bien un ConsommActeur qui a aussi des devoirs et celui d’être écouté ! 

Plus que jamais, redéfinir le rôle de l’entreprise, – tout en privilégiant une relation client apaisée au cœur de cette gouvernance -, dans un cadre de soutenabilité économique, structurer, pérenniser, crédibiliser, contrôler ces engagements, est au cœur des enjeux de la transformation des marques. Il ne tient qu’à nous de rendre ce monde raisonné, raisonnable, pour le rendre moins incertain, plus audacieux et prédictif. Considérer les bénéfices à court terme comme un moyen d’atteindre un objectif plus global, à long terme, comme une source de revenus durable, voilà une direction ! Revenir sur les fondamentaux et s’appuyer sur une démarche prospective prenant en compte l’évolutivité des processus marketing efficaces, exploitables sous le prisme de l’expérimentation, d’objectifs de fidélisation client sur le long terme, voilà le chemin ! Expérimenter notre désir d’avenir non pas à notre image, mais bien sur le regard que nous portons sur la vie, voilà la vision ! Il semble que l’omniprésence de ces affirmations pertinentes ne s’expliquent pas uniquement par le chemin déjà parcouru mais bien par ce déséquilibre qui nous tient en équilibre en quelque sorte et qui nous fait allez de l’avant, chaque pas faisant…

Être responsable et s’engager, c’est être soi-même bienveillant, c’est préférer le don, le pardon et la rédemption, à toute violence et destruction.

Être responsable, c’est choisir sa vie, mais c’est aussi choisir sa fin et ses moyens d’actions, c’est notre plus grand défi à tous, entreprise comme entité fragile et singulière, comme marqué sous le sceau des intelligences complexes d’aujourd’hui et de demain et non pas pris en étaux de nos injonctions contradictoires, mais bien dans prolongement d’un art de la cohérence, de l’autorité et de la communication responsable !

« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » comme l’écrivait le poète Pierre Reverdy… 

La vie est un déséquilibre permanent, mais quel plaisir de marcher !

Part 1 : https://responsiblegrowth.fr/2024/02/22/lentreprise-responsable-vue-par-marc-michiels/
Part 2 : https://responsiblegrowth.fr/2024/02/22/lentreprise-responsable-vue-par-marc-michiels-suite/

1- Un art divinatoire ancestrale d’origine Chinoise, Ier millénaire avant l’ère chrétienne, époque des Zhou (1027-256 av. J.-C.).
2- D’après le poème de Charles Baudelaire : deuxième poème de la deuxième édition (1861) du recueil Les Fleurs du Mal.

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