MICHIELS

Hana gumo

©Marc Michiels

Hana Gumo, un voyage au coeur même des Nymphéas…

C’est un hasard, même si elle se présente comme une heureuse coïncidence, si l’installation photographique de Marc Michiels « Hana gumo » consacrée aux Nymphéas présentés au musée de l’Orangerie, prend forme au moment même où l’oeuvre de Monet est une fois encore célébrée dans les hauts lieux parisiens de la culture. Car cela fait des années que Marc Michiels tente d’en approcher le mystère et toute la richesse.

Les rétrospectives se suivent, on pourrait penser, semblables les unes aux autres, puisqu’il s’agit toujours des mêmes oeuvres. Et pourtant à l’image de cette oeuvre qui rend compte d’un temps insaisissable, de lumières qui ne cessent de se mouvoir au gré des heures et d’éclairer à chaque fois différemment meule de foin, cathédrale et nymphéas, le regard d’aujourd’hui et de demain s’interroge toujours sur le comment, sur cette sensibilité à fleur de peau où toute sensation ancrée dans le temps doit se traduire par des impressions visuelles, des sensations colorantes pour reprendre les termes du photographe.

Et Monet de rêver en couleurs et à sa palette qui ne parviendrait pas à suivre la course du soleil :

J’ai eu une nuit remplie de cauchemars. La cathédrale me tombait dessus, elle semblait ou rose, ou bleue ou jaune 
Dans une lettre à Alice, en 1892.

Cette quête du temps menée par le peintre, notamment à travers la couleur, Marc Michiels l’a faite sienne depuis plusieurs années en explorant d’un peu plus près à chaque fois les Nymphéas. Mais devant ces paysages flottants, entre ciel, reflet et eau, le photographe choisit de s’arrêter sur la matière elle-même, porteuse de jets de lumière et de pans colorés et de fait, elle est le lieu même où viennent se loger les émotions du peintre, toujours aussi vives devant les « paysages et reflets devenus une obsession. C’est au-delà de mes forces de vieillard et je veux cependant arriver à rendre ce que je ressens ». 

Nicolas de Staël reconnaissait ainsi dans la manière picturale de Monet sa capacité « à créer du relief ou à tout le moins une sensation spatiale par des contrastes de couleurs ».

Nous voici ainsi proches de cet instant décisif où le peintre et le photographe ont le même objectif : saisir, enfermer ce temps qui s’écoule de plus en plus vite, à l’image d’une surface picturale devenant de plus en plus fluide, et qui fut interprétée, dans les dernières années du peintre, comme des gouttes de pluie glissant sur la toile. 

Sous l’oeil de Marc Michiels, la goutte de pluie qui s’était déjà métamorphosée en un réservoir de tout un monde :

un miroir  qui contient le ciel, les nuages, les arbres, toute la verdure et le frémissement des feuilles. Tout s’y reflète, s’y résume, s’y confond. Il contient les heures, puis l’aurore jusqu’au crépuscule
« Journal des Débats », mai 1909.

Vient alors se suspendre dans le temps et s’incarner en un Hana Gumo ou nuage de fleur, témoin de cette perception de l’univers chèr à Monet comme au photographe, celle de l’ukiyo-e ou des mondes flottants. Les Nymphéas se mettent alors à ondoyer faisant se mouvoir, comme le décrivait Emile Zola, cette « eau vivante, profonde, vraie surtout […] aux teintes blafardes et ternes qui s’illuminent de clartés aiguës » (1) et le photographe de faire dialoguer ses impressions colorantes* avec celle de Monet, en jetant ses aplats de couleur et de lumière venant éclairer les ciels aquatiques de la toile.

1- Emile Zola « Cahiers naturalistes, 1986
* Une fois les prises de vue réalisées, Marc Michiels procède par surimpression : photographie de la photographie d’origine, puis retravaille cette même photo en plaçant des gélatines devant son objectif. C’est à ce moment-là qu’il retravaille sur des formes de couleur/lumière .

Texte :  Briséis Leenhardt-Jan.