MICHIELS

Petits oiseaux d’Yôko Ogawa, éditions Actes Sud

Tous les chants d’oiseaux sont des chants d’amour. 
Yôko Ogawa.

Yôko Ogawa obtient le Kairen en 1988 pour son premier roman et reçoit quelques années plus tard, en 1991 le très prestigieux prix Akutagawa pour la Grossesse édité aux Actes Sud. L’auteur pour son dernier ouvrage, pose la question : qu’est-ce qu’être soi dans l’insécurité sociale et familiale si la parole n’existe pas en tant que lien de sociabilité. Comment vivre, se construire si les racines de l’affiliation sont rompues ? La transparence aux êtres y serait-elle liée, si l’autre n’existe pas ? 

Pour la romancière, l’écriture est un monde en forme de cage qui offre néanmoins une part à la liberté qui nous convient, faisant de chacun de nous des oiseaux, sifflant des chants d’amour que personne n’entend et que l’on comprend parfois, aux travers de nos propres illusions ! Il faut alors fusionner l’espace du silence et du temps de l’écoute pour retrouver peu à peu les mots oubliés dans l’espace de la psyché ; enjeu même de la distance toute japonaise du vivre ensemble et d’une double identification aux fonctions multiples, interrogeant l’acte de penser l’écriture, en tant que création d’une vision du type Loplop – Max Ernst : « Sous sa forme tordue, l’annexe solitaire finit par ne plus se faire remarquer. Ce qui s’était affalé contre la clôture glissa peu à peu, les planches s’entassèrent sur le sol, formant bloc sans que l’on puisse discerner le toit des murs et du sol. Le bloc pourrit, se décomposa, se couvrit de mousses, des graines venus de nulle part se mirent à germer, et ici ou là ils virent même pointer des fleurs. Exactement comme si c’était la tombe de leur père. Les oiseaux, sans savoir ce qu’il y avait là à l’origine, descendaient parfois des branches pour s’amuser à sautiller dessus. » 

L’auteur, nous décrit un monde qui s’en va, qui s’évanouit sans laisser de trace, peut-être dans l’imagination des hommes, dans une « foi au livre, aux écritures » qui ne sera bientôt plus ; un monde sans technologie, sans robot, sans nostalgie d’un monde devenu inadapté à la violence de celui que l’on n’imagine pas encore. Un monde qui n’aura bientôt plus besoin de la nature pour faire vivre son cœur. Écrivain de la transgression par petite touche, Yôko Ogawa nous livre une réflexion poétique dans laquelle l’inadaptation au monde, au droit à la différence ne pèse en rien sur le bonheur. 
L’auteur, nous conte des métaphores, des impressions, des tensions d’une grande subtilité. Une contre-pensée ou l’exclusion est la règle, si nous ne « comprenons » pas le langage des oiseaux (pawpaw) ; si nous parlons le langage désarticulé des humains, fiers de leur autorité, puisqu’ils sont si nombreux… Pétris, d’un sable mouvant qui fait de leur rapport aux autres le mouvement même de leur inconstance et de leur pauvreté. Serré au creux des mains des morts, « la pierre brute des mots », l’oiseau à lunettes continue pourtant à vivre, chanter sa liberté sur la transparence des hommes, au monde de la beauté. 

Petits oiseaux est un roman d’une douce volupté qui renforce le cœur des hommes, mélancolie fragile de l’amour, poésie délicate, ilot de sérénité à l’écart du bruit du monde, une façon de l’appréhender, de l’accepter sans le comprendre : « Les gens qui lisent des livres ne posent pas de questions superflues, ils sont paisibles… dit-elle sans lever les yeux. A rapporter dans quinze jours, se dit-il avec les mots de la jeune bibliothécaire… ». Je vous conseille, à vous aussi de lire ce livre tous les quinze jours et aussi longtemps que vous le pourrez, le ramener au sein de votre bibliothèque personnelle, de votre pensée, pour en mesurer toute la philosophie, comme une plume délicate que l’on ramasserai sur une plage, au bord de la mer et que l’on glisserait délicatement sur le rebord de son chapeau pour se protéger des rayons ardants du soleil, ou du regard des autres ! 

Les oiseaux ne lisent pas de livres… Parfois ils restent tranquilles à réfléchir. 
Yôko Ogawa.

Vraiment ?

Hommes-frères-oiseaux en mutation, battant des ailes pour s’évader de leur condition humaine, le cadet n’aura de cesse de vivre au croisement de deux mondes, de deux visions de l’âme. Symbole inversé de l’esprit de l’hirondelle, qui pour avoir manifesté de la compassion au moment où Jésus souffrait sur la croix, ôta de son œil les épines de sa couronne pour les emporter au loin ; une goutte de sang divin perla et tacha, à jamais la gorge de l’hirondelle. L’homme aux petits oiseaux décida, lui, de leurs rendent la liberté : « Celle que vous cherchez n’est pas ici, malheureusement. Ainsi s’adressait-il aux oiseaux à lunettes derrière ses paupières. Puis il ouvrit les yeux, s’approcha des cages que l’homme à la casquette avait entassé sur le sol, en ouvrit les portes une à une… Allez, vous pouvez sortir. Après avoir décrit un tour au-dessus de la tête du vieil homme, certains s’égayèrent entre les branches du chêne, tandis que d’autres se dirigeaient vers un endroit encore plus lointain du ciel ». L’image récurrente des oiseaux est aussi une allusion à la relation entre l’homme et l’animal que représente saint François d’Assises qui prêchait pour les animaux, une relation d’amitié, de compassion aux antipodes de la traditionnelle conception occidentale de l’homme comme maître et possesseur du monde animal :

Tu n’es pas obligé de chanter pour moi ni pour quelqu’un d’autre, tu sais, lui chuchota l’homme aux petits oiseaux après avoir approché son visage de la cage. 
Demain tu quitteras cet endroit. Tu te lanceras à travers ciel… 
Le soleil couchant remplissait le jardin.
Voulant à nouveau entendre la voix de son aîné, la cage serrée sur son cœur il s’allongea…
Garde-le… précieusement…
Ce chant si beau…
 
Yôko Ogawa.

Yôko Ogawa, nous donne à lire un Jardin des délices, un texte classique, d’une grande maitrise, simplicité, et beauté, entre Terre et Ciel, lumière et ténèbres. Symbolisant, une promesse que le Déluge n’aura plus lieu à qui ouvre son cœur aux sentiments de piétés et de douceur ; à un langage pour celles et ceux qui sont soucieux du salut des âmes. 

Je ne laisserai pas se faner les pervenches. 
Sans aller écouter ce qu’on dit sous les branches,
Et sans guetter, parmi les rameaux infinis, 
La conversation des feuilles et des nids ;
Il n’est qu’un dieu, l’amour ; avril est son prophète ; 
Je me supposerai convive de la fête. 
Que le pinson chanteur donne au pluvier doré ; 
Je fuirai de la ville et je m’envolerai,
Car l’âme du poète est une vagabondé…
 

… Ô belle, nous aurons les dieux, les chants, les lierres. 
Le mois de mai fera son devoir ; Dieu clément 
Le veut ; on entendra chuchoter vaguement
Des profondeurs d’oiseaux sous des épaisseurs d’arbres ; 
On se parlera bas ; les seins seront des marbres, 
Non les cœurs ; on aura quelque ami pour témoin
Sans empêcher pourtant qu’il aille un peu plus loin.
Victor HUGO, Toute la lyre – XVIII Toute la vie d’un cœur : Mai, 6 et 26 mai 1847.

Un livre-chant, d’une rare intelligence.
Modifiant à jamais, notre conception de ce que sont un être humain et ses conditions de vie ;
un cœur libre et virevoltant face aux barreaux des hommes, tableaux de nos péchés !

Critique : Marc Michiels.